03. le petit village dans la prairie

loup-pendu est un petit village de basse normandie, composé de cinq cents habitants, de tous âges. il y a une école, une « épicerie », un poissonnier, un charcutier et tout ce qui est de première nécessité. les collégiens et les lycéens du village doivent se rendre dans une petite commune voisine, où les deux établissements sont disponibles. tout le monde se tutoie, il y a une bonne ambiance, malgré les secrets, les mariages arrangés et les vieilles rancoeurs adolescentes. tout le monde sait que le charcutier en voudra toujours au maraîcher d'avoir embrassé son premier amour lorsqu'ils étaient au collège. tout le monde se salue, discute poliment au coin d'une rue lorsqu'il se croise, le pire étant les jours de marché. peu de gens sont pressés. tout le monde est curieux de la vie des autres, mais il est très facile de se tenir au courant des derniers potins. les choses dramatiques sont moins ébruitées, car moins intéressantes. jusqu'ici, le maire n'a pas dû faire de choix important. mais tout a changé dans l'organisation de ce grand foyer depuis l'arrivée de trois cents inconnus.


il a fallu choisir de ne pas ébruiter l'affaire, pour ne pas se retrouver avec la police qui se mêlerait de leurs affaires bien tranquilles. il a fallu les découvrir, et s'habituer à eux et à leur étrange jargon, ponctué d'anglicismes et de mots inconnus. et leurs noms ! parlons-en de leurs noms ! apparemment, à bien les écouter, il manquerait une demoiselle, que tous semblaient connaître et surtout apprécier, au vu de leurs mines désespérées. est-ce que l'un d'entre eux sait qui est Katregé ? non, personne, et personne ne semble déterminé à leur expliquer. alors ils les laissent faire leur deuil. et puis il y a ces explications tarabiscotées et exagérées. venir du futur ?! quelle idée ! bien que cela explique de nombreuses choses, les jeunes seuls semblent les plus disposés à les croire.
les tenues de la plupart des passagers choquent par leur indécence. ils n'ont pas de francs et parlent « d'euros », une monnaie qui serait commune à tous les pays de la CECA, et bien d'autres encore. ils n'ont pas un seul franc sur eux. les femmes ne comprennent pas qu'on les relègue aux tâches ménagères et la plupart s'insurgent. mais ce n'est donc pas leur place ! le village est en train de se diviser. il y a ceux qui pensent que ces nouveaux arrivants vont avoir un impact négatif sur leur vie quotidienne et commencer à mettre de drôles d'idées dans la tête des jeunes. certains crient même que c'est une nouvelle ruse des allemands, n'osant les croire. et puis il y en a d'autres. d'autres qui voient à quel point, dans leur liberté, les femmes semblent être heureuses, bien plus que leurs compagnes. ceux-là se disent qu'il est parfois bon de faire bouger les choses, et que si ils n'y avaient pas de gens pour se révolter, l'ancien régime serait toujours en place et qu'on ne bénéficierait d'aucune liberté.